CHAPITRE PREMIER
Le Broyeur de Soleil plongea dans le système de Carida comme le couteau d’un assassin dans le cœur d’un innocent.
Se sentant vieilli avant l’âge, Kyp Durron était assis devant le tableau de commande du navire. Les yeux brillants, il fixait sa nouvelle cible. Grâce à la superpuissance de ses armes et aux techniques apprises de son fantomatique mentor, Exar Kun, le jeune homme était à même de neutraliser toutes les menaces qui pesaient sur la Nouvelle République.
Quelques jours plus tôt, dans la nébuleuse du Chaudron, il avait vaincu l’amirale Daala et détruit ses deux destroyers. Juste après l’explosion, Durron avait largué une des torpilles messages du Broyeur pour que la galaxie entière sache qui avait remporté cette victoire.
Son prochain défi ne manquait pas d’audace : le centre d’entraînement militaire impérial de Carida, rien que ça !
Cette planète géante avait une gravité élevée, l’idéal pour modeler les muscles des futurs commandos. Parfaitement sauvage, elle offrait une palette très intéressante de conditions climatiques : des étendues arctiques, des forêts tropicales, des chaînes de montagnes et des déserts peuplés de reptiles venimeux rappelant des dragons de légende.
Carida était à l’opposé de Deyer, la planète natale de Kyp, où sa famille et lui habitaient une des paisibles colonies flottantes installées sur les lacs artificiels.
Leur bonheur avait volé en éclats quand les parents de Durron avaient osé s’insurger contre la destruction d’Alderaan. Les Impériaux avaient rasé le village, déporté Kyp et les siens dans les mines d’épices de Kessel, et enrôlé de force son frère Zeth dans les commandos.
Alors qu’il orbitait autour de Carida, Durron affichait l’expression déterminée d’un individu qui est allé au bout de ses tourments de conscience. Des ombres dansant devant ses yeux, il n’espérait plus que Zeth soit encore vivant après tant d’années, mais il tenait à savoir ce qui lui était arrivé.
Si son frère n’était plus là, rien ne pourrait empêcher Kyp de détruire le système solaire de Carida.
Car il en avait le pouvoir…
Une semaine plus tôt, Durron avait laissé Luke Skywalker pour mort au sommet du Grand Temple de Yavin 4. Après avoir puisé dans le cerveau de la naïve Qwi Xux les spécifications du Broyeur de Soleil, le jeune homme avait fait exploser cinq étoiles dans le but de détruire Daala et ses deux destroyers. Au dernier moment, ses adversaires avaient tenté d’échapper à l’onde de choc. En vain. Dans une luminosité aveuglante, l’enfer avait englouti le vaisseau de Daala – le redoutable Gorgone.
Depuis cette terrifiante victoire, une idée avait tourné à l’obsession dans l’esprit de Kyp : détruire l’Empire.
Hyperdrive engagée, il avait fondu sur l’ennemi.
Dès qu’il entra en orbite, le système de défense de Carida repéra le Broyeur de Soleil. Avant que les forces impériales ne se risquent à une action stupide, Kyp diffusa son ultimatum sur toutes les fréquences.
– Académie militaire de Carida, dit-il, prenant une voix aussi grave que possible, ici le pilote du Broyeur de Soleil.
Il chercha le nom du crétin d’ambassadeur qui, sur Coruscant, avait provoqué un incident diplomatique en jetant son verre au visage de Mon Mothma.
– Je veux parler à l’ambassadeur Furgan pour préciser les termes de votre reddition.
Pas de réponse. Un moment, Kyp attendit qu’un son jaillisse des haut-parleurs de la console des communications.
Une alarme clignota sur le tableau de bord quand les Caridiens braquèrent un rayon tracteur sur le Broyeur de Soleil. Avec les super-réflexes d’un Jedi, Kyp modifia son orbite, la rendant trop aléatoire pour que l’ennemi puisse verrouiller le rayon.
– Je ne suis pas là pour jouer à des jeux idiots ! rugit-il dans son micro. Carida, si vous n’avez pas répondu dans les quinze secondes, je tirerai une torpille dans le cœur de votre soleil. C’est compris ? (Il entreprit de compter à voix haute.) Un… Deux… Trois…
Il en était à onze quand une voix se fit entendre :
– Navire ennemi, nous allons vous transmettre des coordonnées d’atterrissage. Suivez-les à la lettre, ou nous vous détruirons. Une fois posés, des commandos prendront le contrôle de votre vaisseau…
– Vous êtes à côté du problème, les gars, dit Kyp quand il eut réussi à s’arrêter de rire. Passez-moi l’ambassadeur sur-le-champ ou votre système solaire fera un joli feu d’artifice. J’ai anéanti une nébuleuse pour bousiller des destroyers impériaux. Devoir détruire un petit soleil ne m’arrêtera pas. Trouvez Furgan et passez-le-moi. En visuel !
Sur l’écran holographique, le visage plat de Furgan apparut. Kyp le reconnut à ses sourcils épais et à ses grosses lèvres rouge sang.
– Comment oses-tu venir nous menacer, Rebelle ? grogna Furgan. Tu n’es pas en position d’avoir des exigences.
La patience de Kyp était déjà à bout.
– Tais-toi et écoute bien, Furgan ! Je veux savoir ce qui est arrivé à mon frère, Zeth Durron. Il a été conduit ici de force il y a dix ans. Quand tu auras la réponse, nous pourrons négocier.
Furgan le foudroya du regard.
– L’Empire ne traite pas avec les terroristes.
– Tu n’as pas le choix, bouffon. C’est ça ou la destruction.
Furgan hésita un instant puis rendit les armes.
– C’est une vieille histoire, il faudra du temps pour obtenir des informations. Restez en orbite pendant que j’effectue des recherches.
– Tu as une heure, dit Kyp avant de couper la communication.
Sur Carida, au cœur du quartier général des forces impériales, Furgan se tourna vers l’officier des communications :
– Vérifiez les affirmations de ce gamin, lieutenant Dauren. Je veux connaître la puissance exacte de son vaisseau.
Un officier des commandos s’approcha, la rigueur toute militaire de sa démarche emplissant d’admiration l’ambassadeur.
– Je vous écoute, capitaine.
Le micro intégré à son casque amplifia la voix du soldat :
– Le colonel Ardax vous fait savoir que les troupes d’assaut sont prêtes à partir pour la planète Anoth. Huit octopodes TA-TM sont embarqués à bord du Vendetta. Les troupes et l’armement idoine attendent de l’être.
Furgan pianota nerveusement sur la console métallique.
– Ça semble un déploiement de force démesuré pour kidnapper un bébé et se débarrasser de la femme qui s’en occupe… Mais il s’agit d’un bébé Jedi et nous aurions tort de sous-estimer les défenses de la Rébellion. Dites à Ardax de différer un moment son départ. Nous avons… hum… un petit problème. Quand il sera résolu, nous partirons à la recherche d’un remplaçant pour notre pauvre Empereur. Un remplaçant jeune et malléable…
Le commando salua, tourna les talons et s’en fut.
– Ambassadeur, dit l’officier des communications, nos espions affirment que les Rebelles se sont approprié une arme nommée le Broyeur de Soleil qui serait capable de détruire une étoile. Et il y a bien eu une supernova dans la Nébuleuse du Chaudron, comme le prétend notre ennemi.
Furgan sentit un frisson courir le long de son épine dorsale. Ses suppositions étaient confirmées ! S’il pouvait mettre la main sur le Broyeur de Soleil et sur le bébé Jedi, il deviendrait le seigneur de la guerre le plus puissant de la galaxie. Alors Carida serait le cœur d’un fantastique Empire – son Empire !
– Profitons que le pilote du Broyeur de Soleil attende des nouvelles de son frère pour l’attaquer… Il ne faut pas laisser passer cette chance.
Kyp fixait le chronomètre du Broyeur de Soleil, sa colère grandissant à chaque seconde. N’était son désir d’en savoir plus sur Zeth, le jeune homme aurait déjà largué une de ses quatre dernières torpilles à résonance puis reculé de quelques années-lumière pour regarder le système de Carida s’embraser.
De la neige grésilla sur l’écran, vite remplacée par l’image de l’officier des communications, l’air à la fois professionnel et contrit.
– Carida au pilote du Broyeur de Soleil. Vous êtes bien Kyp Durron, le frère de Zeth Durron, recruté par nos soins sur Deyer ?
Le ton pompeux de l’homme exaspéra son correspondant.
– Je vous ai déjà dit ça. Qu’avez-vous appris ?
– Nous en sommes désolés, mais votre frère n’a pas survécu à la période de formation. Nos exercices sont très durs, car seuls les meilleurs candidats doivent les réussir.
Les mots résonnèrent comme des coups de canon dans les oreilles de Kyp. Il s’attendait à la nouvelle, mais en avoir confirmation le désespérait.
– Dans quelles circonstances est-il mort ?
– Je me renseigne, dit l’impérial. (Kyp attendit de très longues minutes.) Pendant un exercice de survie en montagne, votre frère et son équipe ont été pris dans une tempête de neige. Il semble être mort de froid… A ce qu’on dit, il se serait sacrifié pour sauver ses camarades. Tous les détails sont consignés dans un fichier. Dois-je vous le transmettre ?
– Affirmatif, dit Kyp, la bouche sèche. Je veux tout.
Il revit des scènes de son enfance, quand Zeth et lui fabriquaient de petits bateaux en roseaux qu’ils regardaient dériver vers les chutes. Puis il se souvint de l’expression de Zeth au moment où les commandos l’avaient emmené.
– La transmission prendra un moment, dit l’officier des communications.
Kyp regarda les données défiler sur l’écran. Il pensa à Exar Kun, l’antique Seigneur de la Sith qui lui avait montré bien des choses que maître Skywalker refusait de lui enseigner. Apprendre la mort de Zeth avait tranché les derniers liens qui le rattachaient à la raison. Rien ne pouvait plus l’arrêter.
Le transfert du fichier n’était pas encore terminé. Il lui faudrait longtemps pour assimiler toutes ces informations et imaginer la vie qu’avait eue son frère – une vie qu’ils auraient dû partager.
Jaillissant de l’atmosphère de la planète, une formation de quarante chasseurs Tie mit le cap sur le Broyeur. Une autre unité, vingt appareils, fondait sur l’autre flanc du navire. Le fichier concernant Zeth n’avait été qu’un moyen de le retarder pour lancer une attaque.
Kyp oscillait entre l’indignation et l’amusement. Un sourire flotta sur ses lèvres, puis disparut.
Les chasseurs Tie approchaient en tirant. Sur la coque du Broyeur, Kyp sentait l’impact de leurs rayons laser. Mais le blindage spécial pouvait résister à l’armement surpuissant d’un destroyer.
Un pilote ennemi contacta le Broyeur :
– Vous êtes encerclé. Toute résistance est inutile.
– Désolé, mais je suis à court de drapeau blanc !
Kyp utilisa ses senseurs pour repérer le chasseur d’où provenait le message. Quand ce fut fait, une décharge de canon-blaster désintégra l’appareil dans une gerbe de flammes blanches et orange.
Les autres chasseurs ouvrirent le feu. Kyp riposta, programmant cinq cibles sur son ordinateur tactique.
Il fit mouche trois fois.
Tirant parti de la mobilité supérieure du Broyeur de Soleil, il évita sans peine les rayons ennemis et ne put s’empêcher de ricaner en voyant que deux adversaires venaient de se désintégrer mutuellement !
La colère grandissait en Durron, l’emplissant d’une force insoupçonnée. L’heure n’était plus aux ultimatums, surtout après la manœuvre de Furgan.
– C’est la dernière erreur que tu auras commise, ambassadeur !
Les chasseurs Tie continuaient à tirer, manquant leur cible plus souvent qu’à leur tour. De toute manière, les lasers glissaient sur le blindage.
Les pilotes ennemis se débrouillaient comme des manches ! Gavés de simulations de combat, ils n’avaient sans doute jamais combattu un véritable adversaire. Kyp, lui, avait la Force pour alliée.
Il tira encore, détruisant un autre vaisseau, puis décida qu’il était inutile de continuer à combattre, car il avait en vue une cible plus importante. Il dévissa, poursuivi par deux Tie, s’arracha à l’orbite de Carida et fonça vers le soleil du système.
Les moustiques qui lui collaient aux basques pouvaient tout au plus s’en prendre aux tourelles de ses lasers. Les forces de Daala étaient parvenues à endommager l’armement extérieur du Broyeur, mais les ingénieurs de la Nouvelle République n’avaient eu aucun mal à réparer.
Kyp ne prêtait aucune attention à ses adversaires, car l’image de Zeth le hantait. Il le voyait geler lentement au cours de l’absurde exercice de survie d’une armée scélérate dont jamais il n’avait voulu porter l’uniforme.
Pour que cette vision s’efface, il faudrait que le feu dévore Carida la maudite. Un feu que pouvait cracher le Broyeur de Soleil.
Kyp activa le système de lancement des torpilles à résonance. Sous la forme d’une décharge de plasma ovoïde, le projectile surpuissant serait extrait du générateur toroïdal du Broyeur.
La dernière fois, Kyp avait tiré sur les supergéantes d’une nébuleuse. Le soleil de Carida était un astre beaucoup plus banal, mais ça n’empêcherait pas la torpille de déclencher une réaction en chaîne dans le noyau…
Kyp prit le temps de regarder derrière lui. Refusant de s’approcher aussi près du soleil, les chasseurs avaient abandonné la poursuite.
Un bouquet d’alarmes clignotait sur le tableau de bord, mais le jeune homme s’en fichait comme d’une guigne. Une fois le voyant de contrôle du système de tir passé au vert, il appuya sur la touche de mise à feu, expédiant une torpille au cœur du soleil de Carida. Le dispositif d’autoguidage du projectile lui permettrait d’atteindre le noyau et de provoquer une instabilité irréversible.
Kyp se laissa aller contre le dossier de son fauteuil et soupira. Sa détermination n’avait pas faibli. Le point de non-retour était dépassé.
Il aurait dû jubiler, car la destruction de l’académie impériale était imminente. Accablé par la perte de son frère, il ne se sentit même pas soulagé.
Les alarmes hurlaient dans toutes les sections du quartier général impérial. Les commandos couraient en tous sens pour rejoindre les positions qui leur étaient affectées en cas d’alerte. Mais ils ne savaient qu’y faire…
Sur le visage de Furgan se lisait une stupéfaction qui eût été comique dans d’autres circonstances. Ses yeux semblaient vouloir sortir de leurs orbites et ses lèvres tremblaient tandis qu’il luttait pour trouver ses mots.
– Co… comment tous nos chasseurs ont-ils pu tirer à côté ?
– Ils n’ont pas manqué leur cible, seigneur, dit le lieutenant Dauren. Le blindage du Broyeur de Soleil est impénétrable, voilà le problème ! Et… hum… Kyp Durron approche de notre soleil. D’après les relevés, il semble avoir tiré un projectile très puissant… (L’homme déglutit avec peine.) Hélas, nous savons ce que ça signifie.
– Si le danger est réel ! objecta Furgan.
– Seigneur, tout laisse à penser que c’est le cas. Selon nos espions, posséder une telle arme met la Nouvelle République mal à l’aise pour des raisons éthiques. Et les étoiles, dans la Nébuleuse du Chaudron, ont bel et bien explosé.
La voix de Kyp Durron jaillit des haut-parleurs :
– Gens de Carida, je vous avais avertis, et vous avez tenté de me tromper. A présent, il convient d’accepter votre destin. Si mes calculs sont exacts, il faudra deux heures pour que le noyau de votre soleil explose. Ça vous laisse le temps d’évacuer…
Furgan tapa du poing sur une table.
– Seigneur, demanda Dauren, qu’allons-nous faire ? Dois-je organiser le départ de…
Furgan se pencha sur la console et appuya sur une touche pour se connecter à l’aire de décollage de l’académie militaire.
– Colonel Ardax, faites embarquer vos troupes à bord du Vendetta. L’assaut sur Anoth sera lancé dans une heure. Et je viens avec vous !
– A vos ordres, seigneur !
L’ambassadeur se tourna vers Dauren :
– Vous êtes sûr que le frère de Durron est mort ? Nous n’avons aucune monnaie d’échange ?
– Seigneur… je n’en sais rien. J’avais ordre de distraire Durron, alors j’ai inventé une histoire et envoyé un fichier truqué. Vous voulez que je vérifie ?
– Bien entendu, sinistre crétin ! Si nous pouvons utiliser son frère comme otage, le foutu gamin sera forcé de neutraliser les effets du Broyeur de Soleil.
– Je m’en occupe sur-le-champ, seigneur !
Six officiers de haut rang entrèrent dans la salle et saluèrent l’ambassadeur. Plus petit que ses subordonnés, Furgan croisa les mains dans son dos, bomba le torse et parla :
– Recensez tous les vaisseaux en état de marche. Il faudra transférer les mémoires de nos ordinateurs et embarquer autant de techniciens que possible. Comme il est exclu d’évacuer tout le monde, choisissez en fonction du grade.
– Allons-nous abandonner la planète sans combattre ? s’insurgea un des hommes.
– Général, le soleil est sur le point d’exploser ! Comment vaincre pareil ennemi ?
– Le choix sera fait en fonction des grades, seigneur ? gémit Dauren. Je suis un simple lieutenant…
– Raison de plus pour trouver le frère de ce gosse et l’obliger à neutraliser sa torpille !
A travers les hublots à demi polarisés, Kyp regardait les chasseurs survivants battre en retraite vers Carida.
Un sourire se dessina sur ses lèvres. Voir les Impériaux essayer d’emporter une planète entière dans les soutes de leurs navires allait être distrayant.
Au cours des vingt minutes suivantes, il observa les essaims de vaisseaux qui s’envolaient du spatioport du centre d’entraînement : des chasseurs, des transporteurs privés, des barges industrielles, et même un cuirassé à l’allure redoutable.
Kyp s’en voulait de laisser les Impériaux avec autant d’armes qui serviraient un jour contre la Nouvelle République. Mais pour l’heure, son objectif – et son bon plaisir – était de détruire le système solaire.
– Vous êtes piégés, murmura-t-il. Quelques-uns s’en sortiront, mais pas tous.
Il regarda le chronomètre. Depuis que des perturbations étaient visibles à la surface du soleil, calculer l’heure de l’explosion devenait plus facile. Les Impériaux avaient encore vingt-sept minutes avant d’essuyer la première onde de choc.
Le flot de vaisseaux s’était tari, seuls quelques appareils en piteux état luttaient encore pour s’arracher à l’attraction de la planète. La flotte de Carida semblait anémique. Sans doute avait-elle été pillée par le Grand Amiral Thrawn ou quelque seigneur de la guerre impérial.
L’écran holographique scintilla, puis afficha l’image de l’officier des communications.
– Le lieutenant Dauren appelle Kyp Durron. Ceci est un message urgent !
Tu m’étonnes, songea Kyp. Tous les malchanceux restés sur Carida doivent en avoir un à envoyer !
– Ouais… De quoi s’agit-il ?
– Nous avons retrouvé votre frère !
Kyp eut l’impression qu’un sabrolaser lui transperçait le cœur.
– Comment ? Vous disiez qu’il était mort !
– Après vérification, il compte toujours parmi nos effectifs. Je sais qu’il n’a pas pu trouver de vaisseau pour fuir la planète. Il sera bientôt ici et pourra vous parler.
– C’est une ruse ! s’exclama Kyp. Il est mort gelé, m’avez-vous dit ! Et il y a ce fichier…
– Un leurre, lâcha Dauren.
Kyp ferma les yeux pour refouler ses larmes. En lui, la joie se le disputait à la colère. Zeth était vivant, une sacrée raison de se réjouir ! Mais il avait commis une erreur élémentaire : croire ce que les Impériaux lui racontaient.
Il jeta un coup d’œil au chronomètre : vingt et une minutes jusqu’à l’explosion. Manipulant sans douceur les commandes du Broyeur de Soleil, il mit le cap sur la planète. Même s’il se donnait peu de chances de pouvoir sauver son frère, il devait essayer.
Il regarda de nouveau le chronomètre. Chaque seconde qui passait était un coup de poignard.
Il lui fallut cinq minutes pour rejoindre Carida. Adoptant une orbite serrée, le Broyeur franchit la ligne qui séparait le jour de la nuit. Kyp dirigea alors le navire vers le centre impérial.
Le lieutenant Dauren apparut de nouveau sur l’écran. Il poussa un commando en armure blanche dans le champ de la caméra.
– Kyp Durron, répondez !
– Je suis là, Impérial !
L’officier des communications se tourna vers le commando :
– Numéro deux mille cent douze, montrez votre visage !
Hésitant comme s’il ne l’avait plus fait depuis longtemps, le soldat se débarrassa de son casque. Il cligna des yeux, ébloui par la lumière qu’il n’avait plus l’habitude de voir sans filtre.
– Votre nom, soldat ! aboya Dauren.
Le commando semblait désorienté. Kyp se demanda s’il était drogué.
– Deux mille cent…, douze…
– Pas votre matricule, votre nom !
Le jeune soldat se tut, le front plissé comme s’il fouillait dans sa mémoire.
– Zeth… Zeth Durron ?
C’était plus une question qu’une affirmation.
Pour Kyp, il n’y avait pas de doute. Il avait reconnu le compagnon de jeu de son enfance, qui nageait comme une anguille dans les lacs de Deyer et n’avait pas son pareil pour attraper les poissons à l’épuisette.
– Zeth, mon vieux… J’arrive !
Dauren secoua la tête.
– Vous n’avez pas le temps, Durron ! Il faut stopper la torpille ! Inverser la réaction en chaîne ! C’est notre seul espoir.
– C’est impossible ! Rien ne peut arrêter le processus !
– Si vous n’agissez pas, nous allons tous mourir !
– Vous le méritez ! cria Kyp. Sauf Zeth, et je viens le chercher.
Il déchira la haute atmosphère de Carida, la coque de son navire atteignant rapidement une température critique.
La surface de la planète approchait à une vitesse vertigineuse. Kyp plongeait vers une région ravagée hérissée de rochers rouges et semée de canyons abrupts. Dans une zone désertique plate, il repéra des formes géométriques : les voies de communication tracées par les ingénieurs du génie impérial.
Comme un météorite, le Broyeur de Soleil fondait sur le centre d’entraînement. Un peu partout, ignorant que leur soleil allait exploser, des commandos continuaient à s’entraîner.
Il restait sept minutes.
Kyp activa l’écran tactique et localisa le bâtiment principal du centre – la citadelle. Le Broyeur de Soleil vibrait et des flammes dansaient autour de la coque, résultat de la friction avec l’atmosphère.
– Communiquez-moi votre position ! cria Kyp à Dauren.
L’officier des communications, terrorisé, n’était plus en état de répondre.
– Je sais que vous êtes dans la citadelle ! Mais où ?
– Dernier étage de la tour sud ! dit Zeth avec la précision d’un commando bien entraîné.
Kyp agrandit l’image de la citadelle et localisa la tour en question.
Il restait cinq minutes.
– Zeth, prépare-toi ! Je viens te chercher.
– Nous chercher ! gémit Dauren.
Kyp hésita un instant. Il aurait voulu abandonner à son sort l’homme qui, en lui mentant, l’avait poussé à détruire Carida. Le lieutenant avait mérité de mourir dans les flammes, mais il pouvait lui être utile…
– Tous les deux, tenez-vous prêts ! Je serai là dans une minute. Comme vous ne pourrez pas atteindre le toit assez vite, je vais le désintégrer.
Dauren hocha la tête. Zeth parut enfin sortir de sa torpeur.
– Kyp ? Mon frère ? C’est toi ?
Le Broyeur de Soleil arriva à l’aplomb de la citadelle, protégée par un immense mur d’enceinte. Sur le site de décollage, des centaines de fuyards s’entassaient dans les derniers petits navires disponibles. Sans hyperdrive, ils n’avaient aucune chance d’échapper à la zone de destruction d’une supernova.
Kyp immobilisa le Broyeur au-dessus du centre impérial. Les canons-lasers de la défense antiaérienne le prirent pour cible, le secouant comme un prunier.
– Désactivez les batteries automatiques ! cria-t-il à l’officier des communications.
En attendant, Durron dut perdre du temps à tirer sur les lasers adverses. Il détruisit deux casemates, mais le canon-blaster de la troisième porta un coup direct au Broyeur.
Le navire partit en vrille et heurta violemment une tour de la citadelle. Luttant avec l’énergie du désespoir, Kyp parvint à reprendre le contrôle de l’appareil.
La tour sud, vite !
Il restait trois minutes…
– Mettez-vous à l’abri, je vais tirer sur le toit !
Il visa et fit feu.
Un message erreur s’afficha sur l’écran. Le laser de bâbord était hors service à cause de la collision. Kyp lâcha une bordée de jurons et orienta le Broyeur afin de pouvoir utiliser un autre canon.
Après une courte rafale, le toit de la tour commença à fondre. Kyp activa son rayon tracteur pour empêcher les débris de pierre et de métal de s’écraser sur le dernier étage.
Après avoir positionné le Broyeur au-dessus du cratère fumant qui avait été un toit, Durron scanna la zone et localisa Zeth et Dauren, qui venaient de sortir de sous le bureau où ils s’étaient abrités.
Deux minutes…
Le plus délicat restait à accomplir : faire descendre le vaisseau dans le cratère afin que les deux hommes puissent s’accrocher à l’échelle, atteindre le sas et pénétrer dans le Broyeur. Ensuite, il faudrait fuir au plus vite.
Alors que Kyp amorçait la manœuvre, il vit le lieutenant Dauren se relever et abattre sur la tête de Zeth une barre de plastacier récupérée dans les décombres.
Etourdi, mais toujours conscient, Zeth tomba à genoux et dégaina son blaster. L’ignorant, l’officier impérial courut vers le Broyeur, les bras tendus pour attraper l’échelle.
Furieux, Kyp fit un peu remonter le vaisseau. Dauren sauta et manqua l’échelle, ses mains glissant sur la coque toujours brûlante.
L’Impérial hurla et retomba sur le sol. Avec la précision d’un professionnel, Zeth fit feu, carbonisant la poitrine de l’officier des communications.
Une minute.
Kyp ramena le Broyeur de Soleil en position. Mais Zeth, le sang inondant son armure blanche, n’était plus en état de se relever.
Incapable de bouger, jamais il ne pourrait atteindre l’échelle.
Réfléchissant à la vitesse de l’éclair, Kyp verrouilla le rayon tracteur sur son frère et entreprit de le rapprocher du navire.
Ça pouvait marcher ! Kyp abandonna son fauteuil et courut vers le sas. Il allait devoir ouvrir, descendre l’échelle et porter son frère à l’intérieur.
Sa main se posait sur la poignée du sas quand…
… le soleil de Carida explosa.
L’onde de choc déchira l’atmosphère, charriant avec elle les feux de l’enfer. En un clin d’œil, la citadelle ne fut plus qu’une colonne de flammes.
Le Broyeur de Soleil piqua du nez, envoyant Kyp s’écraser contre la baie de plastacier. Une milliseconde, il aperçut une image fantôme de Zeth, littéralement désintégré par un éclair d’énergie stellaire.
. Durron se traîna jusqu’au fauteuil du pilote. Bien qu’il fût à demi assommé, ses réflexes de Jedi lui permirent d’allumer les moteurs auxiliaires.
La première onde de choc de la supernova – des particules à haute charge en énergie propulsées par l’explosion du soleil – n’était rien comparée au raz de marée de radiations qui suivrait dans moins d’une minute.
A l’instant où la deuxième déferlante atteignait Carida et l’éventrait, le Broyeur de Soleil accéléra, tous ses voyants de contrôle passant au rouge en même temps.
La gravité déforma le visage de Kyp. Ses yeux se fermèrent, les larmes qui baignaient ses joues remontant vers ses paupières sous l’effet de l’accélération.
Le Broyeur de Soleil s’arracha à l’atmosphère de Carida. Hyperdrive engagée, il plongea dans l’hyperespace, échappant aux tentacules d’énergie de la supernova.
Kyp poussa un long cri de désespoir. Qu’avait-il fait, par le ciel, qu’avait-il donc fait !